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Lara Croft ou Barbie: Le jeu Vidéo au féminin
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29 octobre 2014

Harcèlement en pagaille

Le monde du jeu vidéo est au coeur de plusieurs affaires de harcèlement, nous en avons déjà parlé dans certains portraits de femmes. Les blogs et la presse spécialisée en a également parlé très régulièrement ces derniers mois et la presse "classique" aussi (le Guardian, le Monde, Libé, le nouvel Obs, ...). Qu'est-ce qui ce passe ?

L'origine de ces harcèlements

Les affaires de harcèlements dont je viens de parler, sont assez récentes mais ce harcèlement à caractère sexiste est-il un phénomène récent dans l'univers vidéoludique ? Mon ouvrage essaye de démontrer que le monde du jeu vidéo est loin d'être égalitaire quant au genre mais je n'y ai pas directement abordé la question du harcèlement. D'autres études l'ont fait, notamment une étude de Emily Matthew en 2012 [1]. Sur 874 réponses, près de 60% des femmes disent avoir déjà fait l'objet de propos sexistes et près de 12% des hommes. Signalons au passage que les hommes ne sont donc pas épargnés mais cela va généralement beaucoup moins loin que les derniers cas relevés par la presse et qui concernent des femmes.

D'où partent les affaires qui ont fait le plus de bruit ? 

Une des premières a avoir essuyé lourdement les critiques sexistes (et des menaces) est Anita Sarkessian dont nous avons déjà parlé. Cette blogueuse avait publié une série de vidéo où elle montrait/démontrait le sexisme dans les jeux vidéo (schéma de la demoiselle en détresse, de la femme récompense, ...). En analysant un peu l'affaire, le scandale a éclaté de manière plus ouverte dès qu'elle a demandé des fonds pour continuer ses enquêtes sur un site de crowfunding (financement participatif).

Dans l'affaire Zoe Quinn, une première vague de harcèlement intervient quand un jeu qu'elle a créé est mis en ligne sur la plateforme de jeu Steam (fin 2013). Puis une seconde vague de harcèlement l'atteint, à l'été 2014, quand son ex-petit copain déballe son linge sale et la soupçonne d'une aventure avec un journaliste spécialisé dans les jeux vidéo (du site Kotaku).

Bianna Wu, quant à elle, se fait harcelée suite à ses remarques sur le #Gamergate (affaire Quinn) et à la sortie du jeu de son studio indépendant.

Dans ces cas, les plus médiatisés, on retrouvent certains éléments communs: la presse, l'argent, le féminisme de la victime et une certaine indépendance.

La presse

Comme je l'ai déjà écrit, le #Gamergate (dont l'affaire Zoe Quinn est un des éléments de combat important) est un mouvement de revendication en ligne, nourri essentiellement par des joueurs de jeu vidéo, qui prétend dénoncer la corruption dans les médias spécialisés en jeux vidéo. La presse spécialisée en jeu vidéo avait déjà fait l'objet de critiques en 2012 avec ce qu'on a appelé le "DoritosGate" (image promotionnelle du jeu Halo 2 avec un paquet de Doritos) et un polémique liée à un journaliste d'Eurogamer qui a relayé sur son compte perso twitter un message promotionnel.

Les gamers n'aiment donc pas que la presse spécialisée ("leur" presse) se lie avec des intérêts industriels ou plus simplement qu'elle ne soit pas indépendante (si ce mot veut encore dire quelque chose). Et c'est sans doute là le point de départ de l'affaire Zoe Quinn.

Indépendance encore...

Zoe Quinn et Brianna Wu sont des femmes, j'y reviendrai, mais elles proposent des jeux qui sortent des gros circuits habituels: elles travaillent pour des studios indépendants (ou sans studio comme Zoe Quinn). Dans mon livre, j'ai eu l'occasion d'aborder d'autres expériences de femmes qui tentaient de créer une société de jeux vidéo (Brenda Laurel avec Purple Moon notamment, créée en 1996 et rachetée par Mattel en 1999) et qui se font rattraper par les grosses boîtes.

Est-ce que le monde du jeu vidéo (ou ses acteurs les plus virulents) serait quelque peu allergique aux initiatives indépendantes ? On peut en tout cas se poser la question dans les cas qui nous préoccupent.

L'argent

Les problèmes de Anita Sarkassian ont commencé quand elle a tenté une levée de fonds (plus que réussie) pour continuer ses analyses des jeux vidéo. Les problèmes de Zoe Quinn sont également liés à la controverse concernant le groupe "The Fine Young Capitalists (TFYC)" qui se défini comme un groupe radical féministe et qui souhaite promouvoir une plus grande représentation des femmes dans le travail et notamment les métiers du jeu vidéo. Ce groupe essaye également de lever des fonds pour atteindre ses objectifs et aider des développeuses indépendantes (comme Zoe Quinn).

Donc, dans cette ébulition médiatique, on a déjà plusieurs questions de fonds qui se téléscopes: l'éthique journalistique, le népotisme supposé dans l'industrie du jeu vidéo opposé à l'indépendance et bien sur la question du féminisme.

Féminisme

Les trois victimes se déclarent féministes, on ne peut le nier. Et c'est apparemment ce dernier aspect qui cristallise le débat et qui engendre la violence dans les propos et les menaces très disproportionnés. Plus généralement, le harcèlement dans le monde vidéoludique, outre qu'il touche plus les femmes que les hommes, est également plus violent envers celles-ci... Alors en plus, si elles se défendent avec des théories féministes... Plusieurs acteurs remarquent également que lorsqu'ils s'agit d'hommes, le harcèlement se limite généralement à leur production (jeu nul) alors que quand il s'agit de femmes, la création (le jeu) passe en arrière-plan et le harcèlement s'attaque à la personne... Bref, contrairement à ce que certaines post-féministes prétendent, le combat féministe pour une équivalence des femmes et des hommes est loin d'être terminé...

Que conclure ?

Difficile de conclure après une analyse aussi superficielle mais néanmoins, je crois pouvoir dire que le noyaux dur des gamers actifs est très réactionnaire et également machistes et sexistes (voir aussi racistes... mais ça, c'est un autre débat !). Bon, pas de généralisation, ils s'agit des plus actifs et, si vous me permettez la comparaison, c'est un peu comme les intégristes musulmans: c'est ceux qu'on entend mais ce qu'ils expriment n'est sans doute pas l'avis de la majorité.

Et en Europe ?

Jusque là, nous nous sommes intéressé à la situation et à des scandales Outre-Atlantique mais qu'en est-il de ce côté ? Non, l'Europe n'est pas toute clean à ce propos. J'y reviendrai peut-être mais un scandale a défrayé (dans de moindres proportions qu'en Amérique) les chroniques vidéoludiques de nos blogs et magazine: jeuxvideo.com, premier site français de jeux vidéo en terme de visite, laisse publier dans ses pages de nombreux sujets des forums voire des articles qui font montre de sexisme (jusqu'à une vidéo qui fait l'apologie du viol !). De nombreux exemples émaillent les articles de Myroie [2] et de Mar_Lard [3]. Je me permet de vous y renvoyer mais le débat est loin d'être clot...

Heureusement, face à ces propos et menaces démesurées (nous sommes dans le monde du "jeu"), quelques voix, encore trop timide sans doute, se lèvent pour appeler au calme et à la réflexion...

Cependant, pour mon propos qui est de comprendre la place de la femme dans l'univers vidéoludique, les questions demeurent...

Pour aller plus loin:

- en anglais: Anita Sarkessian: http://www.feministfrequency.com/2012/12/tedxwomen-talk-on-sexist-harassment-cyber-mobs/

- http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/09/15/comprendre-les-affaires-de-sexisme-dans-le-jeu-video_4487453_4408996.html

- Lettre ouverte d'un développeur indépendant Andreas Zecher signée par 1400 développeurs (en anglais)

 


[1] E.Matthew, Sexism in Video Games [Study]: There is Sexism in Gaming, 2012.

[2] Myroie, Que reprochent les militant/e/s à JV.cm ?, juillet 2014.

[3] notamment dans Libé: "Si on ose émettre un discours différent, on devient un ennemi", septembre 2014.

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